Vieillesse : la perception de la société
LE MATIN le 30.09.2007
Les Marocains refusent de «délaisser» leurs parents dans des maisons de retraite
Henry de Montherlant disait : «Les vieillards meurent parce qu'ils ne sont plus aimés». Aujourd'hui, vu la vision sociale envers les personnes âgées, on peut implicitement confirmer ces propos. En effet, à partir d'un certain âge, les seniors ont du mal à se situer sur le plan familial, social et identitaire. Cependant, l'angoisse de la mort remonte à la surface, et la peur du nid vide et du veuvage provoque des décompensations.
Comment est-ce que la société marocaine perçoit les seniors? Qu'en est-il de la culture des maisons de retraite et pourquoi est-ce que la vieillesse est souvent liée à la mort?
Décryptage d'un âge dit de décrépitude.
Considérée comme une période inévitable de la vie humaine, la vieillesse est caractérisée par une baisse des fonctions physiques, une perte du rôle social joué comme adulte, des changements dans l'apparence physique et un acheminement graduel vers une diminution des capacités.
«La vieillesse est un état auquel accède l'individu dans la logique de son développement et qui résulte de l'enchevêtrement des dimensions biologique, psychologique et sociale. Dans cette optique, la vieillesse paraît comporter un certain nombre d'épreuves variables tout aussi objectives que subjectives» explique le sociologue Abdelkrim Belhaj.
Ainsi, les «vieux» sont invités à vivre en observateurs après avoir été acteurs et de réaménager leur existence en marge de la marche sociale.
Une situation qui accentue plus leur repli sur soi et perturbe leur condition d'intégration, avec tous les effets et les conséquences psychologiques que cela entraîne. Du coup, l'enthousiasme de vivre s'estompe et ils se retrouvent peu a peu retirés de la société. Une société qui véhicule une vision catastrophiste et négative de l'âge. Néanmoins, cette perception n'est pas uniforme, plusieurs aspects la façonnent: «D'une part, il y a l'aspect traditionnel, où le rôle et la place des vieux dans la société sont largement considérés en fonction des normes et des valeurs culturelles. D'autre part, l'aspect moderne, qui commence à traverser le mode de vie contemporain donnant lieu à l'éclatement de la famille élargie, la redistribution des rôles parentaux, la division du travail, la délimitation des activités par l'âge…etc.
Ce sont donc des réalités qui nourrissent psychologiquement et socialement les perceptions des vieillards» précise le professeur Belhaj.
Et de rajouter : «Les gens se sont habitués à la discrimination à l'encontre des personnes âgées, et en même temps, un certain nombre d'idées reçues et une stéréotypie se sont installés dans les esprits, ce qui ne fait que créer un fossé entre les personnes âgées et le reste de la société.
C'est ce que les spécialistes appellent l'âgisme, forme de racisme anti-vieux». La mentalité marocaine tend elle vers l'occidentalisation? Bien qu'il soit remarquable qu'aucune prise en charge n'est envisagée dans l'organisation sociale formelle, que ce soit dans l'exercice d'activités sociales, culturelles et de loisir, ou dans le cas de l'accompagnement lors des problèmes de santé, ou encore dans l'accessibilité aux services de la vie en société, la société marocaine, enserrée par sa culture traditionnelle et religieuse, refuse l'admission des parents dans des centres d'accueil. En fait, les Marocains considèrent cette prise en charge extérieure comme un délaissement de leurs propres aïeuls.
«Cette conviction est étroitement liée aux normes et valeurs culturelles et traditionnelles. Ces aspects sont véhiculés au niveau familial et communautaire, aussi bien dans l'entourage rural qu'urbain», argue notre professeur. Quoique la nécessité de prendre en charge cette catégorie sociale s'avère obligatoire, parce qu'au Maroc, il existe énormément de personnes âgées sans famille ni domicile fixe. «Certes, il existe une préparation matérielle à la retraite, même si une partie importante de la population ne bénéficie pas d'un régime de retraite. Mais il n'y a par contre aucune préparation psychologique.
Les seniors se retrouvent comme étant une catégorie laissée pour compte, à laquelle on pense dans le cadre de la vie privée, alors que dans le cadre public, ce n'est qu'occasionnellement qu'elle retient quelque intérêt» explique M. Belhaj. D'autre part, il est nécessaire de mettre à jour les disciplines scientifiques, telles que la gérontologie médicale et la gériatrie, qui aident à cerner les différentes problématiques liées à la vieillesse, notamment dans ses paramètres psychologiques.
«Lorsque le corps et les fonctions mentales subissent l'effet de l'âge, la dynamique psychique peut toujours être l'objet de nouvelles adaptations», conclut notre sociologue.
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La vieillesse et la mort
La vieillesse se présente comme étant l'un des grands tournants de la vie de la personne. Ainsi le futur est relié à la perspective de la mort. Plusieurs facteurs internes propres à la personne ou externes ayant trait à l'environnement dans ses multiples facettes, entrent en jeu au cours du vieillissement et participent comme causes de difficultés qui entraînent certains remaniements de l'appareil psychique : climatère, maladie, handicap, décès.
Tous ces événements sont susceptibles de conduire le sujet à une crise mettant à l'épreuve ses capacités de réinvestissement.
Cette crise peut déboucher sur un nouvel équilibre psychique assurant la permanence de l'adaptation ou bien sur un dérèglement, voire une défaillance, conduisant à une pathologie psychologique.
Ces pathologies regroupent celles qui affectent la personnalité, les troubles mentaux, les maladies dégénératives, et les autres manifestations liées à la survenue d'un événement qui peut dépasser les ressources physiologiques et psychologiques.
Il faut souligner aussi le fait que l'instinct de conservation grandit en cette période d'âge. Les vieillards persistent à vouloir s'attacher à la vie, mais ne veulent pas d'aventures, car ils n'en éprouvent plus les prédispositions.
Chaque fois qu'ils sont face à la mort des proches ou d'autres, ils ressentent du soulagement de ne pas être la proie de la mort, mais la crainte à son sujet les obsède.
On peut se demander si la peur de vieillir est autre chose que la peur de la mort, et quand un vieillard s'interroge sur le sens de sa vieillesse, et de la vie elle-même, c'est bien de la perspective de la mort qu'il s'agit. D'autant que, dans bien des cas, le vieillard sera amené à faire son propre deuil.
Rajaa Kantaoui | LE MATIN